lundi 21 mai 2018

Michka Saäl, une amité


Michka Saäl et moi en 1987

J’ai rencontré Michka dans un cours de cinéma à l’université de Montréal en automne 1979. Je venais du Liban en guerre. Elle entrait dans la classe, le pied dans un plâtre, avec des béquilles. Et elle cherchait du regard une place. Elle a spoté la tête bouclée et elle est venue automatiquement s’asseoir à côté de moi.
Commençait alors l’histoire d’une amitié qui allait se poursuivre pour plus d’une trentaine d’années. Nos routes se sont séparées un temps quand je poursuivais mes études en littérature et nous nous retrouvions dans un cours de journalisme sous la direction de mon professeur de création littéraire Monique Bosco, à qui nous avons dédié un livre d’hommage récemment avec Claire Varin. 
La Tunisie, le Liban, le monde arabe, nous le partagions.
C’est avec beaucoup de tendresse que j’évoque son souvenir en moi et avec nostalgie que je me remémore notre amitié, mêlée de rires et d’épisodes cocasses. Et aussi, bien sûr, nos divergences.
En 1989, elle me demandait de jouer dans son premier film, au titre si poétique Loin d’où. Je devais incarner une jeune tunisienne, nouvellement immigrée à Montréal.  Ce qui était très facile pour moi à cette époque. Je lui demandais si j’avais l’air d’une arabe. Elle me répondait non sans ironie, « Non suédoise ».
Toutes les deux, immigrées, dans le froid, venant d’un pays méditerranéen. Elle la Tunisie, moi le Liban, il nous fallait apprivoiser et l’hiver et les mentalités du nord. 
Cet isolement nous unissait et créait une complicité entre nous.

Ce qui me fascinait surtout chez elle, c’est sa conscience politique. Son regard qu’elle pose sur le monde. L’angle de prise de vue de sa caméra. Depuis que je suis étroitement impliquée dans la production du film indépendant avec les productions Nadja Productions et dans les films d’Hejer Charf, depuis 2001, je réalise combien rester indépendant était gage pour rester fidèle au regard et à la liberté d’expression d’un cinéma personnel et engagé.

Dans son premier film « Loin d’où », sa poésie et son engagement étaient déjà affirmés dans ce moyen métrage qui ne subissait pas encore le poids d’une production exigeante, et lui laissait la liberté et la fraîcheur de dire ce qu’il lui importait de dire Et de le dire musicalement. Dans le rythme de ses images, ses paroles et sa voix.

Sa première prise de conscience était sa lutte contre le racisme, qui débouchait sur sa dénonciation des violences, notamment les violences policières.  De Loin d’où à Tolérance Zéro, à Spoon, on voit très bien le fil et le portrait en filigramme d’une révoltée, d’une inconsolée.

Je remercie Guilhem Brouillet et Mark Foss qui ont pensé m’inviter au Festival DOC-Cévennes pour partager avec vous l’hommage à un être qui a compté très fort dans ma vie qui continue à nous accompagner et nous interpeler.

Nadine Ltaif
texte lu lors de la présentation de Loin d'où (10 mai 2018, Lasalle)

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