samedi 13 janvier 2018

Ciel de nuit blessé par balles de Ocean Vuong

J'ai rarement lu des recueils récents qui ont cette force et cette créativité. Ce qui frappe en lisant les premiers vers du recueil Ciel de nuit blessé par balles c’est le rythme. Et le rythme crée une langue, crée un nouveau poète : Ocean Vuong.
D’où lui vient ce rythme étrange ? Est-ce un paysage vietnamien ? Ou bien est-ce la langue vietnamienne qui se mue en anglais puis dans la traduction française ? Le recueil est déjà traduit en dix langues. J’ai entre les mains l'excellente traduction française qui vient de paraître aux éditions Mémoire d’encier.
C’est l’histoire du grand-père américain et celle de la guerre du Vietnam dans les années soixante, telle que le petit fils va la recueillir du récit de sa mère. C’est la quête du grand-père américain qui fit « l’amour » (?) à la grand-mère vietnamienne de l'auteur. Le grand-père blond de qui Ocean Vuong héritera des gènes et qui marqueront à vie l’histoire de sa famille.
Le voilà à moitié américain par la force du destin et à moitié vietnamien. Son style est hybride, à son image.


Tête Première

Ne sais-tu pas ? L’amour d’une mère
                                           néglige l’orgueil
                             comme le feu
néglige les cris
              de ce qu’il brûle. Mon fils,
                                                      même demain
tu auras aujourd’hui. Ne sais-tu pas ?
               Il y a des hommes qui touchent des seins
                                          Comme ils toucheraient
               le dessus d’un crâne. Des hommes
qui transportent des rêves
               par-dessus les montagnes, les morts
                                                         sur leurs épaules.
Mais seule une mère peut marcher
                            Avec le poids
d’un second cœur qui bat.


La guerre, toujours la guerre qui marque, et longtemps. À travers le temps et les pages. Dans son nom, l’Océan, l’étendue qui l’éloigne de la mer, de l'origine,  du Vietnam.


…de retour en 68, à la baie d’Ha Long : le ciel remplacé
par le feu, le ciel vers lequel seuls les morts

fixent les yeux, puisse-t-elle atteindre le grand-père qui
                                                                                  baise
la jeune fermière enceinte sur la banquette arrière de sa
                                                                      jeep d’armée

ses cheveux blonds dansant dans le vent bourré au
napalm,…

à son cou, ce nom qu’elle pressent contre leurs langues
pour réapprendre le mot vivre, vivre, vivre, et ne serait-ce

que pour cette raison, laisse-moi tisser ce rayon
                                                              de la mort
comme une femme aveugle recoud un repli de peau

sur les côtes de sa fille.



Un poète à découvrir, à suivre.




Ciel de nuit blessé par balles de Ocean Vuong
Traduit de l’anglais par Marc Charron
Éditions Mémoire d’encrier, 2017


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